NOUVELLES DE DANSE - n°40 Novembre 99
“Danse et Nouvelles Technologies”
Animations dansées en ligne
Entretien avec Didier Mulleras par Florence Corin

La compagnie française Magali & Didier Mulleras, installée depuis 1988 à Béziers, sévit également sur le Web. C'est en 1998 que commence cette échappée virtuelle; nous avons “rencontré” Didier Mulleras sur le réseau: échange de courriers électroniques.

NDD: Vous avez créé votre site en 1998 et rapidement après vous avez mis en ligne Miniatures #1, une création chorégraphique visible uniquement sur Internet; qu'est-ce qui vous a poussé à quitter momentanément la scène pour créer sur le Web?
DM: L'envie de dépasser les cadres, les genres, d'aller au-delà des habitudes de travail et des cadres généralement réservés à ma créativité. Et puis, surtout, la sensation de liberté qui baigne le Net. Depuis le début de mon parcours danse, j'ai toujours travaillé sur d'autres projets en parallèle, d'expressions diverses. Musique, happenings, art plastique, technologie,... Le passage au Web s'inscrit pour moi dans cette logique de pluriactivité. Si je fais trop longtemps la même chose, j'ai l'impression de m'endormir. Alors, souvent, je rajoute à mes projets en cours d'autres pistes pour imaginer et construire mes idées. Concernant le Web, l'envie a été nourrie d'un constat: j'ai toujours eu du mal à trouver du mouvement visible en ligne, sans que cela soit fastidieux ou de mauvaise qualité. De ce quasi-désert du geste sur le Web, j'ai eu envie d'écrire des pièces qui seraient uniquement visibles sur un moniteur via connexion, simplement et sans délai d'attente, en tenant compte des impératifs de temps inhérents aux utilisateurs du Web.

Miniatures #1, et depuis Miniatures #2, sont ce que vous appelez des “micro-métrages”; comment décrivez-vous ce travail?
...micro-métrages, parce que plus courts que courts! Le projet mini@tures est un concept à long terme, qui s'articule de 1998 à 2001. C'est un aller-retour chorégraphique du réel au virtuel dédié aux nouvelles technologies, conçu sous forme d'épisodes numérotés, qui se développe grâce au multimédia et au réseau Internet, mais reste un projet chorégraphique avant tout. La technologie est prise en compte comme un vecteur et non une finalité. En clair, des clips vidéo de très courte durée visionnables “en ligne” (du réel au virtuel) qui serviront ultérieurement de point de départ à une écriture chorégraphique “post-Web” sur scène avec des danseurs (du virtuel au réel). C'est un projet itinérant, un itinéraire de création évolutif, qui nous fera voyager pour aller créer hors de nos murs, dans les lieux qui coproduiront les divers épisodes.

Filmer la danse obéit à des règles différentes de celles de la danse elle-même, filmer la danse pour ensuite la laisser voir sur Internet apporte d'autres contraintes?
Outre les contraintes identiques à celles d'un tournage destiné au cinéma ou à la vidéo, surtout pour la lumière, d'autres contraintes apparaissent: sur le Net, la vidéo est souvent de mauvaise qualité, souvent à cause de la capacité des machines, mémoire ou modem. Aussi parce que les images sont trop “riches” en couleurs et en mouvement, et que les logiciels permettant leur lecture ne sont toujours pas réellement adaptés. Nous avons donc choisi une captation mettant en valeur les contrastes et les formes, en épurant volontairement l'environnement du danseur filmé, en se concentrant sur le geste avant tout, connaissant dès le départ le résultat donné par le logiciel que nous utiliserions pour la lecture (RealPlayer).

Vous avez pu adapter votre vocabulaire chorégraphique à ces contraintes technologiques?
J'ai surtout “voulu” l'adapter. C'était presque obligatoire, et c'était là le réel intérêt pour moi. Hormis la contrainte décidée de faire court, j'ai dû tenir compte, une fois de plus, de la restitution possible: le nombre d'images par seconde fait la qualité d'un clip. Plus il y a d'images, plus le fichier est lourd. Par contre, moins il y a d'images, moins les mouvements rapides restent fluides. Un dilemme dont je me suis bien amusé, choisissant parfois d'accélérer volontairement pour que le résultat soit volontairement “haché” lors de la lecture.

Après avoir chorégraphié les mouvements des Miniatures, comment se déroule la suite de la création?
Les prises d'images sont acquises sur informatique et travaillées en numérique pour le montage-mixage, l'infographie et la réalisation définitive des clips. Puis vient l'encodage, en fonction des outils qui serviront à lire les clips (Net ou CD-Rom), et la mise en ligne sur notre site. À ce stade, c'est surtout Nicolas Grimal, notre Webmaster, qui gère le projet. Le traitement des images filmées se fait par des manipulations simples: trace des mouvements, multiplication des personnages; le danseur et ses clones jouent alors les mouvements en décalage, en miroir ou simultanément.

Les nouvelles animations gardent la marque de cette manipulation informatique. Volonté de nous éloigner le plus possible des danseurs de chair?
La trace de la manipulation est volontaire, la taille miniature des sujets (environ 2 centimètres de haut) aussi. Pour ne pas oublier que rien n'est plus vrai qu'un vrai corps qui danse. Que rien ne le remplacera jamais, même si les essais sont dignes du plus grand intérêt. Je veux rester le plus longtemps possible près des “danseurs de chair”, c'est certain. Si je mets des machines dans mon studio et que je commence à leur proposer du mouvement à mettre en chantier, je sais d'avance que même avec l'avancée de la technologie, le résultat est improbable: une machine ne “bouge” pas. Danser, c'est trouver du sens à ses sens. Une machine ne sait pas encore le faire.

Pourriez-vous abandonner totalement le corps humain et réaliser des Miniatures pour des danseurs virtuels?
Totalement, non. Quoique je n'aime jamais dire “jamais”. Il faut voir. Actuellement, je suis satisfait de ma relation d'humain à humain, dans mon travail, dans ma vie. Le virtuel me passionne, mais pas au point de me couper du reste du monde, de me priver de la chaleur d'un corps qui bouge, d'un regard échangé, d'une respiration entendue ou sentie. Tout cela est trop précieux pour que je l'abandonne.

Avez-vous désiré travailler avec des techniques telles que la capture de mouvements ou des programmes comme Life Forms?
Pourquoi pas? Ce sera peut-être la suite de mini@tures, lorsque le projet sera clos tel que nous l'envisageons, en 2002...

Le travail sur Internet a-t-il transformé votre vision de la création chorégraphique?
Parlons plutôt d'évolution. Ce travail me pousse surtout à remettre en question mes certitudes, mes habitudes et mes idées. Mais je sais que si je décide un jour de ne plus créer pour le Net ou le multimédia, cette aventure m'aura apporté autant qu'une création en live avec les danseurs de la compagnie. Sur d'autres plans, plus intérieurs et personnels. Jje ne pense pas que mon écriture, si tant est qu'elle puisse être “étiquetée”, soit modifiée par mon travail sur le Net, puisque j'adapte toujours ma créativité au projet lui-même, au lieu d'adapter le projet à ma créativité.

Comment pensez-vous l'évolution des Miniatures?
Positivement. La suite du projet, que nous préparons actuellement, aura de multiples aboutissements, et évoluera en fonction de la vie intrinsèque du projet. J'espère que nous trouverons les moyens et les aides nécessaires à réaliser le concept dans son intégralité. Avis aux mécènes... Sinon, j'attends avec impatience les progrès annoncés concernant les outils technologiques liés à l'informatique et au Net. C'est dans cette perspective que nous continuerons jusqu'en 2001. Ouverts aux problèmes, aux surprises. La prise en compte du projet par les médias et le public (11.700 connexions à ce jour) laisse penser que notre concept, outre son aspect novateur, reste digne d'intérêt, et qu'il a sa place dans la communauté chorégraphique. Je sais d'avance que je vais prendre beaucoup de plaisir à continuer mini@tures, c'est peut-être le principal...

Didier Mulleras est danseur et chorégraphe. Il dirige sa compagnie avec Magali Mulleras depuis 1988. Vous pouvez retrouver mini@tures #1 et mini@tures #2 ainsi que leur dernière création mini@tures n°3 sur le site Internet de la compagnie: http://www.mulleras.com

Florence Corin
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