Les Inrockuptibles n°199 - Mai 99
"On a dansé sur le Web !" par Emma BAUS

Parfois, Internet ne se trouve être pour tout artiste qu'une vitrine à moindres frais. Comme certains internautes mettent leur CV en ligne, ils accumulent les restes de leurs créations, textes de programme, photos, revue de presse... Cela peut, certes, constituer une base de données intéressante, mais en aucun cas une création originale.
Didier Mulleras, chorégraphe, a décidé, lui, de choyer les amoureux du Net en créant des oeuvres qui leur sont spécifiquement destinées : ses Miniatures. S'adaptant aux contraintes du médium ­ petite fenêtre, mouvement saccadé, faible définition de l'image, arrêts impromptus pendant le chargement ­, le chorégraphe nous livre dix solos variant de 20 secondes à 2 minutes et lus grâce à Realplayer. L'ordinateur s'anime alors d'une présence mi-humaine, mi-informatique : une sorte d'icône qui, tel le Pinocchio de notre enfance, serait devenue vivante. Chacun des micro-métrages est un écho du support qui le diffuse : duplication, disparition, trace, arrêt imprévu. Une métaphore, en somme, de l'univers informatique.

Pour Didier Mulleras, il s'agissait de montrer que "la danse contemporaine peut être ludique et humoristique car les solos de Miniatures ne se prennent pas au sérieux", mais il voulait aussi "mettre un peu de corps humain sur Internet". Il réussit plus que cela : inventer un nouvel art, autonome, qui agit avec un charme indicible, ni vraiment homme ni vraiment machine.

En visitant le site qui nous présente la compagnie Magali et Didier Mulleras, établie à Béziers depuis 1988, on peut découvrir des extraits de captations vidéo de leurs spectacles et mesurer tout le chemin parcouru pour arriver à une danse spécifique au Web. Leur dernière création, De l'orage dans l'air, présentée pour la première fois au public biterrois en mars dernier, est en effet totalement dénaturée par sa diffusion sur le Net : le son est grésillant, le sol et le fond de scène absorbent les mouvements des danseurs, qui ne sont d'ailleurs pas favorisés par des costumes trop fluides. Mais c'est heureux, finalement, car, pour toutes les créations de spectacle vivant, rien ne pourra remplacer la concrète proximité entre les danseurs et le public, unis dans un même espace, réel. A chaque forme de danse, son média... pour que la compagnie Mulleras puisse continuer à "danser, avec la permanente sensation, parfois étrange, parfois grisante d'exister".

Emma Baus

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